Dans le bestiaire des animaux au physique ingrat, le rat-taupe nu se positionne dans mon top 5 où il côtoie le tardigrade, la taupe à nez étoilé, le blobfish et la lamproie.
Malgré son physique étrange, le rat-taupe nu fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques. Car en contrepartie la nature l’a doté de capacités hors du commun que je vous invite à découvrir.
Le 27 mars, un collectif de chercheurs de Cambridge, Londres et Pretoria publie une étude inédite qui lève le voile sur les capacités cardio-vasculaires incroyables de notre petit rongeur.
En analysant ses gènes cardiaques et les tissus de myocardes, les scientifiques démontrent que les cellules musculaires du cœur carburent au glycogène alors que les autres espèces de rat-taupe n’en contiennent quasiment pas.
Ce sucre complexe, stocké dans le foie et les muscles, a la particularité de générer de l’énergie sans avoir besoin d’oxygène. Et justement l’oxygène se fait rare dans l’habitat du rat-taupe nu.
La nature étant douée pour la vie, il s’est donc adapté à ces conditions extrêmes.
Son record en apnée est de 18 minutes et il est capable de (sur)vivre 5 heures dans un environnement 4 fois moins concentré en oxygène que l’air que nous respirons.
Cette capacité à fonctionner avec le glycogène et donc très peu d‘oxygène assurerait une robustesse cardiaque et tiendrait éloignées les maladies cardio-vasculaires, expliquant ainsi sa longévité étonnante dans un environnement inhospitalier.
Fouisseur hors pair de la famille des rongeurs, le rat-taupe nu creuse des galeries souterraines de 3 à 4 km dans le sous-sol africain (Somalie, Éthiopie, Kenya, Afrique de l’Est). Son arme redoutable pour forer les sols : 2 paires d’incisives longues et robustes qui dépassent de sa bouche, ce qui lui permet de creuser sans ouvrir la gueule.
Seul mammifère eusocial avec le rat-taupe de Damara, il vit en groupe pouvant compter plus de 300 individus. Sa vie y est conditionnée par le rôle qu’il occupe dans la colonie. Comme chez les fourmis, la société est organisée autour de la femelle fertile, la reine, et de 1 à 4 mâles fertiles, les pashas. La reine l’est à vie puisqu’elle ne connait pas la ménopause. Les autres membres du groupe, qu’ils soient mâles ou femelles, s’occupent des petits (hygiène, alimentation), entretiennent les galeries, se chargent de la nourriture et du ménage.
Ce qui fait du rat-taupe nu un animal extraordinaire c’est son espérance de vie. Ce rongeur peut vivre plus de 30 ans en captivité versus 4 ans pour la souris.
Cette longévité est due à ses capacités cardiaques, comme nous venons de le voir, mais pas seulement.
Sa peau plissée et dénuée de poils est parfaite pour se faufiler dans les galeries et ça c’est grâce à l’acide hyaluronique. Cette grosse molécule synthétisée en abondance par la peau du rat-taupe nu est précieuse pour garder hydratation, flexibilité et rebond. Elle lui est également très utile pour cicatriser à vitesse grand V car « les accidents du travail » sont nombreux pour cet excavateur sur pattes ! Chez le rat-taupe nu, une peau en bonne santé est donc une question de survie.
Autre atout qui intéresse fortement les chercheurs, sa capacité à ne pas avoir de cancer.
Premières pistes explorées : l’expression par les cellules de protéines qui régulent la prolifération cellulaire. Ces protéines n’étant plus exprimées par les cellules cancéreuses, cela permet leur propagation anarchique. Chez le rat-taupe nu plusieurs protéines de ce type interviendraient en parallèle pour faire bloc contre les tumeurs.
Et c’est là qu’apparait à nouveau l’acide hyaluronique. Cette molécule existe sous différentes tailles, chacune ayant une activité propre dans la peau et les tissus. Concernant les petites molécules d’acide hyaluronique, elles ont été observées lors de phénomènes inflammatoires et cancéreux tandis que les plus grosses montrent des propriétés anti-inflammatoires et anti-cancéreuses. Chez le rat-taupe nu, il semblerait que l’acide hyaluronique soit plutôt constitué de grosses molécules mais malgré les différentes études ayant investigué ce point, il reste encore des zones d’ombre. Le rat-taupe nu n’a donc pas encore dévoilé tous ses secrets !
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Sources
Faulkes, C.G., Eykyn, T.R., Miljkovic, J.L. et al. Naked mole-rats have distinctive cardiometabolic and genetic adaptations to their underground low-oxygen lifestyles. Nat Commun 15, 2204 (2024). https://doi.org/10.1038/s41467-024-46470-x
Muséum National d'Histoire Naturelle - Cabinet de curiosité - Rat-taupe nu
Article Pour la Science n°551 Septembre 2023– Les pouvoirs extraordinaires du rat-taupe nu – Delphine Del Marmol
Kerepesi, C., Meer, M.V., Ablaeva, J. et al. Epigenetic aging of the demographically non-aging naked mole-rat. Nat Commun 13, 355 (2022). https://doi.org/10.1038/s41467-022-27959-9
Meinhard Wlaschek, Karmveer Singh, Pallab Maity, Karin Scharffetter-Kochanek, The skin of the naked mole-rat and its resilience against aging and cancer, Mechanisms of Ageing and Development, Volume 216, 2023, 111887, ISSN 0047-6374, https://doi.org/10.1016/j.mad.2023.111887.
Oka, K (Oka, Kaori), Yamakawa, M (Yamakawa, Masanori), Kawamura, Y (Kawamura, Yoshimi), Kutsukake, N (Kutsukake, Nobuyuki), Miura, K (Miura, Kyoko). The Naked Mole-Rat as a Model for Healthy Aging. Annual Review of Animal Biosciences, 2023, Volume 11 Page 207-226 DOI 10.1146/annurev-animal-050322-074744
Crédits Illustration "Horizontal banner with glass model of molecule" Par frenta
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